Un soir, Aodren un petit villageois alla puiser de l’eau dans un vieux puits au cœur des monts d'Arrée. C'était un puits qui était sensé porter bonheur si on y jetait une pièce. En remontant le seau de bois, il vit quelque chose briller au fond. C’étaient des pièces percées, ces monnaies anciennes qu’autrefois on appelait des sous. Depuis longtemps elles n’avaient plus cours mais le soleil couchant les teintait de nuances d’or. Aodren redescendit le seau et, à plusieurs reprises, en remonta de nouvelles.
La somme était modeste. Pourtant c’était la première fois qu’il voyait autant d’argent car sa famille était pauvre. Émerveillé, il saisit une pièce entre ses doigts, mais elle glissa et tomba. En touchant le sol, elle se changea en un petit serpent aussi beau qu’un bijou. Dressé comme une épée sur sa queue, il dit :
— Merci Aodren. Tu m’as délivré d’un mauvais sort qu'une groac'h m'avait jeté parce que j'ai mangé son fiancé qu'elle avait transformé en lézard. Cette nuit, va enterrer les pièces que tu as récupérées sous ta maison. Quand tu seras grand, le jour où tu voudras partir vivre ta vie, tu creuseras la terre et tu trouveras à cet endroit un trésor à la place de tes vieilles pièces. Mais n’en parle à personne, sinon tu vivras toujours pauvre.
À la nuit tombée, muni d’une bêche et cachant ses sous dans ses poches, Aodren courut retourna vers sa maison. Son cœur battait très fort. Dans sa hâte, le garçon n’avait pas remarqué que ses poches étaient percées. À mesure qu’il courait, toutes les pièces s’en échappèrent et lorsqu'il arriva chez lui, il ne lui restait plus rien.
Devenu grand, le jeune homme chercha du travail dans les commerces et les fabriques. Mais sa vie professionnelle fut un échec cuisant. Il était maladroit et tout lui échappait des mains. Il cassait les objets, les renversait, si bien qu’aucun patron ne voulut le garder. Il n’aimait pas non plus le travail de la terre et ne voulut jamais devenir paysan.
Il n’était doué que pour le chant. Il composait des poèmes et sa voix était magnifique, mais on se moquait de lui parce qu’il n’avait pas de vrai métier.
— C’est un raté, raillaient les villageois, incapable de gagner son pain et d’avoir de l’argent, même quand il en trouve ! Il devrait se faire sorcier ou charmeur de serpents !
Peu à peu, ignoré et moqué de tous, le pauvre Aodren tomba dans la misère et finit à la rue.
Une nuit, désespéré, il retourna près du vieux puits et lui confia son malheur. Le serpent qu'il avait délivré du mauvais sort revint vers lui, apportant une mystérieuse boîte noire.
Elle contenait un violon. Dès qu’il posa l’instrument sur son épaule et prit l’archet, celui-ci se mit à jouer tout seul une danse endiablée.
Quel était ce miracle ? C’était la première fois qu’il avait un violon entre les mains et il savait en jouer !
Plein d’espoir, il s’en alla sur le ruban sans fin des routes et des chemins. Contre quelques pièces que lui jetaient les passants, il chantait tandis que son violon jouait seul des airs de danse. Sa musique avait le pouvoir de guérir tous les maux du corps et de l’esprit. Au son des danses endiablées, les mal aimés retrouvaient l’amour, les vieillards leur jeunesse, les malades la santé, et tous se mettaient à sauter et danser.
Tous les matins, dès qu'Aodren saisissait l’archet entre ses doigts malhabiles, le violon l’entraînait jusqu’au cœur des villages. Alors l’âme des gens, parfois si alourdie des peines de la vie, se soulevait de joie le temps d’un air de danse. Jusqu’à son dernier jour, Aodren parcourut la terre entière en semant des notes de bonheur sur son passage.
Il ne réalisa jamais ses rêves de richesse, mais chaque soir, contre un peu de musique et le bonheur qu'elle apportait, on lui offrait un dîner chaud et copieux puis une chambre au lit confortable.