SAMEDI 15 OCTOBRE 2016
Discours de réception à l'Académie des Sciences, des Beaux-Arts et Belles- Lettres du Périgord-Limousin
Séance inaugurale solennelle du samedi 15 Octobre 2016 à Périgueux. Mesdames, Messieurs et chers amis,
Mais pour acquérir cette méthode évolutive, encore ne suffit-il pas de l'apprendre ; ainsi grâce à l'exemple de nos maîtres, encore faut-il appliquer et vivre cette méthode. Encore faut-il se débarrasser de toutes les fausses motivations, et la vanité parfois n'en est pas le moindre vice, si l'on veut déployer son élan vital et bannir toute intention impuissante , et surtout ne pas manquer à ses devoirs d'homme engagé volontaire dans le domaine de la création. A vous, créateurs qui nous ont précédé, maîtres défunts, je vous salue, et je n'ai messieurs en cet hommage que votre propre bien à vous retourner.
Chers maîtres, de qui nous fûmes élèves, vous, capitaines de notre vocation, vous nous avez offert le privilège de nous mettre en règle avec le sort, car ce choix entre la banalisation ou l'exercice de l'esprit transforme l'idée que l'on se fait depuis le rivage.. Ne voyons pas l'art comme une réjouissance épileptique, solitaire, nombriliste, mais plutôt comme un levier capable d'émouvoir tout un chacun. L'art doit être partagé, et transmis s'il veut survivre, survivre au moins avec ses pairs épris d'esthétique et de beauté...Ayant, chers défunts, votre esprit comme père et l'esthétique comme mère..voyez ! les grandes tempêtes nous ramènent au port.
Poussé chaque jour davantage à créer et recréer sans répit , afin sans doute de ne pas avoir honte de nous-mêmes, estimons-nous, simples passagers éphémères de cette planète. Un astre où semble-t-il régnent à foison les ennemis des arts , ceux que l'on reconnaît aisément à la façon dont ils font de grandes choses, à l'aide de grands volumes, de grande couleurs, sur de grands espaces, avec des grands budgets, tandis que d'autres se contentent de rendre hommage à la lignée des Rubens, des Cocteau, des Prévert, des Jean-Louis Barrault et des Madeleine Renaud.....Et c'est ici la différence entre ceux qui savent ce qu'ils doivent à leurs maîtres du goût et ceux qui prétendent devenir des maîtres sans avoir jamais travaillé autre matériau que leurs humeurs en guise de talent. Mais qu'il nous soit permis de créer pour exister et non pour courir après la gloire, c'était aussi une pensée du grand Charles, le grand Charles Baudelaire, il fut, et il le demeure pour l'éternité, un artiste irremplaçable dans son siècle, dont la pensée et l'oeuvre sont celles d'un visionnaire, à la fois dans son présent de l'époque et tellement proche de nous.... Son oeuvre magistrale est à rapprocher de l'oeuvre d'un Pouchkine, voire d'un Nietzsche car Nietzsche fut aussi poète et pas n'importe quel poète, un poète dont certaines sentences fulgurantes s'inspirent à l'évidence des visions intuitives de Baudelaire. Bref, chers amis, ayant cité trois des douze piliers soutenant mon Panthéon, c'est bien volontiers les neuf autres qui au cours du prochain siècle vous seront livrés..... En cette année 1962, en octobre 62 plus précisément, âgé de quinze ans, la rencontre avec le poète périgourdin Jacques Lafont propulsa sur la scène l'adolescent d'autrefois, l'incitant à pousser la porte des libraires, le livre de poche valait à l'époque un franc, Pagnol, Maupassant, Pierre Benoît, Michel de Saint-Pierre ..évoquerais-je aussi la revue "Historia" et les fameux articles tant attendus chaque semaine, signés André Castelot que je salue aujourd'hui, là où il se trouve, baignant à l'ancre, à l'encre violette comme il se doit.
Il ne pratiquait pas l'humour, il était humour, vivant à la fois l'humour littéraire et l'humour vécu au quotidien. En résumé, il fut un homme d'esprit car il était esprit et surtout un bel esprit trop tôt disparu à l'âge de cinquante-quatre ans car il savait que les paradoxes du comédien rejoignent raremement les paradoxes de la vie. Et jusqu'à la folie du coeur, il assuma pleinement son paradoxe parce qu'il vécut dans un état permanent de révolte, ce que j'appelle aujourd'hui une révolte supérieure de l'esprit, une révolte qui ne fut ni banale, ni un effet de posture, ni posée pour la galerie, et encore moins morbide. Jacques Lafont, ton humour, le tien, avait un avenir car ton esprit élevait la nature humaine très au-dessus de son niveau de flottaison. Il n'enseignait ni ne prêchait, disciple de jean Cocteau et d'Oscar Wilde l'Irlandais maudit, il était Jacques Lafont ; voilà tout. Mesdames et Messieurs, Grâce aux soins éclairés de ceux qui nous ont précédés , des Jacques Lafont, des Maurice Albe, des François Augiéras, des Jean-Louis Barrault, de sa muse, la divine Madeleine Renaud... Aujourd'hui, chers amis, me voici tel un maillon de la longue chaîne du libre savoir transmis par ceux que nous admirons ; Jacques Lafont -décédé en 1986- fut un élève de Maurice Albe, tandis que Charles Baudelaire fut un disciple de Théophile Gautier et ainsi, de génération en génération devons-nous en hommage à nos aînés offrir à notre tour ce qui nous fut gracieusement accordé ; c'est-à-dire une place au sein de la folie de l'art. L'art, cette prison sans barreaux -dit Léo Ferré- dont on ne peut s'évader. Au moment de notre histoire où Palmyre -comme Carthage et Rome- furent détruits à cause de la lâcheté et de l'indolence, que serions-nous face à nos maîtres si nous n'offrions à de futurs émules notre contribution à l'esprit créatif ? Que serions-nous, humbles passants de l'univers sinon de mauvais élèves jaloux de nos petits privilèges d'esprit en constante ébullition ? Serait-il plus fructueuse initiative pour l'esprit que notre collective démarche en cette année 2016, à savoir, poser la première pierre de cette future académie des sciences, des beaux-arts et des belles-lettres ? Si d'aventure sonnait le glas de la fin de l'Histoire, de fait la fin de la civilisation, et par voie de conséquence la fin de l'art, l'extinction de l'homme artiste, en somme ; quelles imprécations surgiraient au sein de votre entourage ? Aucune probablement, puisque le chaos dû au totalitarisme des sectes multiples n'a d'autre finalité que couper les langues. La mission de l'artiste est une mission universelle chers amis ici présents. L'artiste est créateur d'idées, de monuments, de paysages, de nourriture saine, de médecine éthique. Il veille à la transmission du savoir et de la mémoire ; vous en témoignez aujourd'hui ; et c'est pour cet ensemble de raisons impérieuses que nous avons souhaité le plaisir de converser ensemble. L'artiste , mesdames messieurs, est un dragon destiné à cracher le feu de l'esprit, sa seule arme demeure la force tranchante de l'esprit, et non le fil de l'épée.
En de sinistres endroits infréquentables de modestes sujets porteurs de lunettes sont exécutés sans sommation, plus près encore, les gens d'art et de science, malheureux bouffons du tétrarque régnant offrent malgré eux leur crâne évidé comme le fit à la première scène de l'acte V, Hamlet à son fidèle Yorick, pauvre Yorick, pauvre bouffon sacrifié, qui pourtant ne portait pas de lunettes..... Amis des sciences, des beaux-arts, des belles-lettres, amis de l'esprit français, amis de la France, France -mère des arts, des armes et des lois- dixit notre cher du Bellay, amis ici réunis, je vous salue, messieurs, mesdames, amis de la future illustre Compagnie en Périgord-Limousin...Préparons-nous en accord avec la tradition : "Tout faire, tout dire, et tout penser". Maîtres défunts, vous avez fait appel à moi, me voici !
Copyright Jean-jacquesDallemand
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