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Blog créé le 26/08/2009

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La cuisine des anges

 24/11/2016
La cuisine des anges -  Fable policière en trois volets -

I.-   La cuisine des anges
II.-  Meurtre à Francheville
III.- Le procès 
I.-                         La cuisine des anges
                          (Mauvaise recette du tourain)
 

 

Ne dites surtout pas qu'ils s'étaient rencontrés par hasard un soir d'orage sur les berges de la rivière Dordogne. D'ailleurs, Il fut prétendu, et avéré plus tard qu'ils n'étaient donc pas faits pour s'entendre. Lui ne voulait parler que de sa propre mère. Elle ne voulait parler que de son père. Le prétendant aux désirs subits était issu de la culture entrecôte et haricots de gironde, elle, étant plutôt tourain du Périgord. Dès leur première conversation qui eut lieu en juillet 1945 Ils n'étaient donc pas faits pour s'entendre et ils ne s'entendirent pour ainsi dire jamais jusqu'à ce 13 janvier 196O, date à laquelle fut prononcé l'acte de divorce définitif.

 

Tous deux , selon leur expérience durant la guerre , excellents cuisiniers . Cinq années durant, elle s'était spécialisée dans l'art difficile de la cuisson de topinambours et de rutabagas tandis que lui, en captivité devint un expert en dégustation mensuelle de sardines made in Croix-Rouge. A force, à force, leur première idée mise en commun aurait pu aboutir à la confection d'un tourain à l'ail, mais à l'arrivée, ce fut une brouillade sans oeufs et bien entendu sans aucune trace de truffe. Tant sur le plan culinaire que sur le plan conjugal, il leur fallut tout de même quatorze années pour ne rien réussir .....

Bien que le futur père de famille soit atteint de sinusite aigüe le faisant renifler soixante fois par minute, c'est tout de même avec le nez, chaque soir, soulevant le couvercle de la soupière qu'il testait le potage, et, selon la saison, approuvait le choix légumier parce qu'il y avait le rhume d'été et le coryza de l'hiver correcteurs de goût malgré eux.

D'après le témoignage de la belle-soeur Rita, tout à fait digne de foi, parce que de souche auvergnate, il ne se fiait qu'aux filets de vapeur, les siens, en résumant ce qui statistiquement parlant constitue un élément fort méritoire, justifiant que l'on s'y attarde, non pas au titre d'anomalie du genre tic de comportement ou tout autre motif réputé de nature burlesque,  pas plus d'ailleurs qu'il ne faudrait -dit l'Insee- s'y pencher pour raison climatique.  D'après les annales girondines , le sujet des T.O.C. climatiques a fait l'objet d'un traité signé par madame de Saint-Ange, propriétaire d'un domaine situé entre Cérons et Sauternes, ce qui lui valut de se voir attribué le Prix Femina sans aucune contestation, assorti d'un excellent article du Figaro-madame. Le fond de la thèse, audacieuse s'il en est, démontre scientifiquement, à l'aide de shémas dessinés,  la nécéssité de mouiller une muqueuse sèche. C'est le fameux concept de l'humide radical. A muqueuse sèche, arrosage immédiat, quel que soit le liquide oenolique. N'importe quelle artiste du pays de Cérons, de Cadillac et autres lieux ne put égaler le génie spontané reliant à la science madame de Saint-Ange et ses visions nocturnes. Non seulement guidée par l'esprit scientifique mais également douée pour la peinture, n'utilisant comme produits que le Sauternes millésimé propre à sauvegarder sa création, offrant son oeuvre unique, copie parfaite de "la cuisine des anges" à la tante Marie-Louise qui à son tour, en bonne chrétienne, en fit une reproduction photographique, et c'est ainsi que Murillo orna les murs du salon conjugal de Jeanne et Jean....Faute de place, mais grâce au bon goût inné périgourdin de Jeanne, seul Murillo survécut à la mode Bordelaise Saint-Sulpicienne, tandis que d'autres chapelets de motifs à extases d'apôtres en lévitation n'eurent pas le loisir de dépasser l'enceinte des toilettes, au fond du couloir, sans doute par l'intercession de Léon Bloy, en mystérieuse correspondance d'avec Jeanne. Un Murillo, ça va, deux imitations le cas échéant par de mauvais élèves......c'est moins bien....

Madame de Saint-Ange, née Martine Poirot vit le jour sur la commune de Pineuilh, enclave Girondine insolente en terre Périgordine. Excellente danseuse de cabaret aux Folies-Bergères jusqu'à sa majorité, devenue modèle dans l'Atelier de Bernard Buffet par ailleurs incapable de la faire maigrir autrement que sur le chevalet, elle épousa le Baron Kahn-Meyer, grand propriétaire de vignobles, familier de la cellulose, et par extension grand amateur de cellulite, Château Saint-Ange en Sauternais,  puis, de sauterie en Sauternes, ajoutant six cents hectares de pins en lande girondine, éclot enfin sous forme de baronne de Saint-Ange. A la sueur de son front, et ce n'est que justice, elle obtint (à la force du poignet) son casuel de jouissance non feinte, puis son banc à la basilique Saint-Seurin par la même occasion. L'abbé Marc Deraison fut le parrain de son premier-né.

Sauf à exagérer négativement, l'exagération en Aquitaine étant positive par nature puisque le jus de raisin n'est pas considéré comme étant de l'alcool, bel exemple d'exagération positive, rien de plus sain en ces années 5O que le climat régnant sur la ville de Bordeaux ; une pluie saine et abondante venue de l'Atlantique, plus précisément des Antilles si l'on veut être juste et impartial, une fameuse pluie d'automne répercutant en un chant mélodieux son fameux toccata tout au long du Pont de Pierre, éclaboussant mille grues américaines, tapotant comme sous la baguette de Roberto Benzi les pavés toujours assoiffés de la rue Sainte-Catherine. Après cinq années d'orages Brandebourgeois, les pluies cyclonesques exotiques firent du bien au commerce local des parapluies et des imperméables couleur mastic.
 Mille couches d'abadaux, malgré tout honteux d'être nés tropicaux, se convertissaient dès le sol touché aux Quinconces, en airs d'opérette, parce que Bordeaux, première ville d'art après Lyon , exigeait que son Grand-Théâtre fut, comme Versailles, chaque semaine lavé à grandes eaux martiniquaises, la meilleure eau qui soit parce que légèrement aromatisée par le rhum agricole. Ainsi, ne faut-il pas à ce sujet rétablir quelques vérités puisque ce rhum, injustement fort décrié par les alcooliques invétérés, créolisés à outrance, ne serait, paraît-il qu' à peine capable de nettoyer un Grand-Théâtre Lyonnais, or, toujours selon la tante Rita, belle-soeur du futur père de famille, la cause essentielle du reniflement viendrait plutôt de la région volcanique de l'Auvergne, laissant par-là supposer que son beau-frère portait d'emblée , on ne sait pourquoi, une immense allergie aux bovins de Salers en particulier, sans aucun lien établi entre la région de Salers et le caractère de sa belle-mère.. Hélas, l'accordéon ne soigne pas la sinusite bordelaise, que l'on soit ou non en période d'estive ou simplement braves gens de l'Aubrac....

Rita aux affirmations spontanées, non réfléchies, Rita aux évidences rustiques non cautionnées par la Faculté, Rita insistante déplut au futur père. Pas plus que les pluies acides tropicales, il n'approuva l'option auvergnate, suivant ainsi son idée, une idée en apparence saugrenue mais, d'après sa propre soeur, institutrice en Ecole confessionnelle, Ecole Sainte-Marie de Cérons, non dénuée de vérité liturgique vers laquelle Theilhard de Chardin lui-même pourrait fort bien se pencher lorsque son emploi du temps le lui permettrait, et si, toutefois François Mauriac , depuis sa retraite de Malagar, n'y voyait pas d'inconvénient majeur mettant en péril sa nomination au Nobel 1952.

La soeur du futur père, Marie-Louise, fort judicieusement, démontra, burettes à l'appui, qu'il n'existait qu'un seul antidote capable de venir à bout d'un coryza chronique des quatre saisons , et cet antidote porte encore de nos jours plus qu'un nom, il porte à sa seule évocation l'impérieuse nécessité de faire silence, et lorsque en Gironde , au sortir de la messe de onze heures, une assemblée dominicale s'apprête à dénouer la blanche et traditionnelle serviette de table, religieusement, chaque dévôt en son for intérieur épèle les trois syllabes magiques : SAU-TER-NES ! En ce pays de Gironde, un enfant non baptisé à l'impérial Sauternes ne peut être Girondin, il n'est qu'un païen, un inculte, un rien du tout, une sorte de suppôt de Satan qui ne connaîtra de la sainte vigne que les sarments de trois ans destinés à l'entrecôte, et encore, dieu merci Sainte-Vierge, merci Saint- Joseph, merci doux Jésus, bien content si cet enfant indigne plus tard saura distinguer un sarment de trois ans d'avec la baguette magique de sa panoplie de Zorro. Dans ce cas d'espèce, il conviendrait de recommander -avant l'excommunication- un pélerinage de Pâques à Verdelais, en aube blanche et sans costume de Zorro, si possible, sachant que la prononciation méridionale trop appuyée " verre de lait" en pays Sauternais pourrait susciter quelques mauvaises passions si d'aventure certains se risquaient à l'essai d'accent parodique.

Entrer en religion sauternique dès le plus jeune âge est une chose, mais y rester chaque heure de chaque jour est un exercice auquel le futur père se livrait sans retenue, affichant une assiduité quasiment monastique, ayant bien conscience que le fait de briser un cendrier par pur caprice gratuit n'était en rien comparable au jet d'une soupière de haricots à la couenne contre la cloison de la salle à manger, sitôt débouchée la seconde bouteille, inondant au passage les ailes des deux anges du Murillo qui n'avaient rien demandé. Ô Murillo de Séville ! (cadeau de Marie-Louise) témoin de sévices infligés à tes admirateurs....Ô Murillo ! l'essor de ta picturale spiritualité ne méritait en rien de tels jets colériques aussi vils.

"Bon, voilà, en face , les Allemands sont derrière ce mur : moi, ici, je dégoupille, je compte jusqu'à trois, hop je lance. Je ne garde pas entre les cuisses l'engin plus de trois secondes, sinon, amputation. Compris ? Trois fois évadé à la grenade, deux fois repris, et me voici.....
La future mère sanglotant : "Mon Dieu, que je suis malheureuse, que je suis malheureuse"...... je vais te repasser une chemise blanche, calme-toi jean, calme-toi, tes amis Laugénie vont sonner.....calme-toi, les voici, on sonne...
- Ferme cette porte, tais-toi, je vais ouvrir, pas un mot.....
Epoux au statuaire brisé, en ce dimanche après-midi, que vous fûtes loin des serments de l'été 46, loin du tourain porté aux jeunes mariés en leur nuit de noces..... En cette année 1957, il ne restait que la soupière éclatée, rescapée de la liste de mariage, morne débris d'une jonchée de fleurs menant au donjon du château des buis, ce n'était plus qu'une soupière de Limoges en huit morceaux ;  (un cadeau de Rita), gisant sur le plancher...et dès lors l'ail du tourain devint amertume, la perspective d'une dégustation voluptueuse partagée en famille cessa d'exister, l'horizon des promesses euphoriques d'après-guerre s'éloignant, visiblement, la bonne cuisine des anges n'aurait pas lieu. Il manquait à cette union une mince part de vertu indispensable, sans laquelle aucune volupté n'est possible. La vertu étant parfois un mal nécessaire.
                                                          §§§

- Ma bonne Jeanne,
- Ma bonne Marie-Louise......
- Etes-vous certaine que vos deux petits anges vont apprécier l'ail du tourain ?
- Trois.
- Je vous demande pardon ?
- Trois petits anges !
- Mon Dieu ! où avais-je la tête, mais bien entendu, le temps passe si vite....
- C'est nous qui passons, mais qu'importe. Oui. Je suis persuadée que le tourain périgourdin ne leur fera que du bien. D'autant que de nos jours, nous ne le conservons plus guère sous l'édredon....
- Certes, certes.....mais tous ces oignons...
- Deux gros oignons seulement.
- Et ces aulx...
- Quatre gousses d'ail, et une cuillérée de farine, sur la recommandation expresse de madame de Saint-Ange, votre voisine au château de Cérons.....soit-dit en passant.....
- Une dame de qualité, soit dit en passant.
- Une demi-cuillerée de vinaigre par semaine ne leur fera pas de mal, bien au contraire.
- Et donc, une pincée de sel ?
- Tout de même aucun piment de Cayenne ?!
- Inconnu en Périgord, ma bonne Marie-Louise !
- Merci doux Jésus. merci. Et quand au pain rassis ?
- Aucune inquiétude pour le pain rassis. Nous en mangeons depuis dix ans. Votre cher frère est un garçon économe.
- Il a beaucoup souffert......Je me demande s'il supportera les deux jaunes d'oeufs....
- Je lui verserai les blancs dans la marmite, n'ayez crainte.... Quand à fouetter.....ce ne sera pas une surprise...
- Dans ce cas, j'émincerai l'ail et l'oignon, nous fouetterons ensemble.
- Nous les ferons suer à la graisse d'oie.
- Bel anniversaire de mariage, ma bonne Jeanne. Ce tourain trempera vingt-quatre heures, par respect pour la tradition en Périgord, je vous l'accorde. Ah, au fait, ne vous mettez pas en frais pour le Pécharmant, je ne bois pas, vous le savez, sauf en messe quotidienne, cas de force majeure.
- Vous êtes bien la seule dans la famille.
- Fort bien, ma bonne Jeanne. persiflons, persiflons, fort bien. Je prierai pour vous.


                                           §§§
                                      EPILOGUE

Les anges noirs.....
Jean, l'époux coléreux, maugréant, tout entier dévoué à ses libations parlait à sa mère absente :
- Mes fléchettes..maman....où sont mes fléchettes..maman....mon tir aux pigeons, sors mes jouets du grenier, je t'en prie.....
- Mon pauvre ange ! soupira l'absente. Mon pauvre ange noir ! Tu n'as donc pas d'amis !
- Oh oui maman ! bonne idée, envoie-moi un ami, buvons à l'amitié. Il me semble bien vieux ton messager, qui est-ce au juste maman ? je distingue mal....
- Pose ton verre un instant, écoute le monsieur...Tu verras..il sait nourrir les pigeons....
Il apparut, lumineux, dans l'encadrement de la porte du salon et déclara :

"Tu as fait appel à moi, et me voici", et ce fut tout.

"Ah ! le coup du père François ! François d'assises ?! pas mal François et ses oiseaux ! Non ?! François Mitterand peut-être ?! pas davantage ......François, François.....qui étiez-vous ? François Mauriac sans doute ? Ah j'y suis, maman ! Maman, Mauriac et ses anges noirs !
- Repens-toi mon fils. C'est l'heure du repentir. Je te l'avais bien dit, si la littérature, le partage du pain à l'ail et la vertu de nos pères ne t'ont pas sauvé, alors nul homme sur terre, pas même l'ombre de Mauriac ne pourra rien pour toi.

Alors, Jean fit un noeud coulant de sa cravate, et il tira d'un coup sec.
 


copyright Jean-jacques Dallemand 12 Juillet 2016
Corrigé le 24 Novembre 2016
(Illustration : Murillo) 

 




 

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