Les dernières heures de Brodard Graphique
Fondée dans la première moitié du XIXe siècle, l’imprimerie Brodard n’est plus. Hier, les salariés ont mené leur dernier combat. Pour leur dignité. 1 réaction | RéagirJila Varoquier | 17.07.2010, 07h00 Il fallait un final à la hauteur de l’empreinte que laissera leur imprimerie dans l’histoire columérienne. Après dix heures de guerre des nerfs, les Brodard Graphique sont sortis la tête haute de leur entreprise, liquidée le 5 juillet.
Jeudi, 15 heures. Le mandataire judiciaire venu annoncer le montant des primes de départ est reçu dans un site bloqué par des tas de palettes en feu, d’énormes bobines de papier, dont une brûle de temps en temps, des cuves de 1000 l d’encre renversées, des bonbonnes de gaz et une centaine d’hommes déterminés.
« On veut 20000 €. Après, on quittera les lieux », affirme Eric. Quand Me Hazane annonce que la prime ne sera que de 7500 €, une voiture s’embrase. Un long bras de fer est engagé.
17 heures. Une épaisse fumée noire, chargée de papier et d’encre, assombrit le ciel de Coulommiers. Les forces de l’ordre sécurisent le périmètre, bouclent la station d’essence du centre commercial voisin qui, lui, reste ouvert. Des clients encouragent les hommes à tenir bon. Les négociations stagnent.
21 h 15. La tension monte d’un cran quand on leur propose 10000 €. « Si on est là, c’est la faute de l’ancien directeur, pas la nôtre. Vos excuses, on s’en fout, on veut le pognon », hurle un employé, prêt à bondir sur le mandataire. Les imprimeurs quittent la salle. Dehors, le brasier reprend de plus belle. « J’ai trente ans de maison. Brodard était le fleuron de l’imprimerie. Et, aujourd’hui, on doit brûler les murs pour obtenir quelque chose? » s’interroge Régis.
22 heures. Un second pas est fait par le négociateur : 15000 € brut, versés en deux fois. Les élus procèdent à un vote, la majorité tient bon. « Ils veulent nous entuber, on peut aller plus loin », insiste Gaylor. Mais la fatigue commence à entamer l’unité.
22 h 30. Une nouvelle proposition, 15000 € net — 5000 en septembre, 2500 en décembre, le reste à la vente des actifs —, achève de diviser les hommes. « Faut pas se laisser avoir! » lancent les uns alors que les autres craignent de tout perdre.
23 h 5. Les élus procèdent à un nouveau vote, la majorité dit oui, la fin du conflit approche.
Hier, 1 heure. Alors que le texte est en cours d’écriture, le silence gagne l’usine. Les hommes comprennent qu’une page de leur vie se tourne. « Nous vivons les dernières heures collectives de Brodard. On a été soudés dans le conflit et, dès demain, il n’y aura plus rien », glisse Christophe, le délégué du personnel.
1 h 30. Dany C., le secrétaire du CE, les traits tirés par le long bras de fer, signe l’accord. « C’est pas possible de finir comme ça… » souffle, la voix tremblante, un grand gaillard avec trente ans de maison.
2 heures. Les mains se serrent, les gorges se nouent. « Plus que l’argent, c’est la dignité humaine qui a été bafouée. Le maire n’était pas là ce soir et la fédération Filpac-CGT nous a lâchés. Je n’ai pas de mots », se désole un jeune trentenaire. Dany, qui a mené la bataille sans jamais lâcher, est gratifié d’un applaudissement.
Dès lundi, les ex-Brodard recevront leur lettre officielle de licenciement. Mais pour eux s’engage désormais un nouveau combat, celui de la reconversion